Avec un chiffre d’affaires qui a augmenté de 19% en 2009 pour les produits bio, le secteur a le vent en poupe. Longtemps délaissé par les supermarchés et les industriels car considéré comme marginal, le bio est devenu pour eux incontournable.
Le problème est que nous sommes face à une industrialisation du bio. Il faut, à la manière des produits conventionnels, plaire au plus grand nombre en créant des produits aseptisés, bien emballés, au goût passe partout.
La grande distribution ne se tourne pas vers les petits fabricants artisanaux, qui ne peuvent fournir assez de denrées et à un prix plancher, mais vers les grands groupes industriels qui se sont accaparés de ce marché juteux.
Voici l’ère de l’agriculture biologique intensive et industrielle avec les monocultures, les monoélevages gigantesques, au développement de l’importation des denrées provenant de l’autre bout du monde, à l’allègement du cahier des charges des labels bio, au non respect des travailleurs, à la standardisation des coûts, etc. Comme le dit si bien Picard, par exemple, « Il nous faut du beau bio ».
Nous assistons ainsi à une perversion de l’idéologie « bio » d’origine de la petite paysannerie, qui cultivent des variétés anciennes avec des saveurs uniques dans le respect de la terre et de l’environnement.
Une taille industrielle
Fin 2008, plus de 35 millions d’hectares sont cultivés en agriculture biologique dans le monde, d’après l’IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements). La nouvelle règlementation européenne permet à un éleveur de produire jusqu’à « 75 000 poulets de chair bio à l’année et ne limite pas la taille des élevages de poules pondeuses bio ». Bionest qui fait des fraises bio en Andalousie possède 500 hectares serres. AgriEco produit, avec ses 160 hectares de serres, plus de 11 000 tonnes de poivrons, tomates et concombres bio [1].
Importation : produits hors saison avec moins de goût
60% des fruits et légumes biologiques sont importés en France. ProNatura, le leader du marché actuel, a été le premier à commercialiser des fruits et légumes bio hors saison. Il ne parait pas surprenant pour le consommateur de trouver en rayon des fraises bio ou non, en plein mois de janvier par exemple. Ces importations favorisent pourtant les gaz à effet de serre et augmentent sensiblement les coûts des produits. Selon le WWF, un fruit importé hors saison par avion est 10 à 20 fois plus consommateur de pétrole que le même fruit acheté localement et en saison. Tout ceci est sans parler du goût du fruit qui n’aura pas autant de saveurs car cueilli bien souvent à une moindre maturité. Le goût est également bien souvent moins bon, moins prononcé car on privilégie les variétés à haut rendements, résistantes au transport, qui se conservent bien, etc. au détriment des saveurs.
Une règlementation arrangée
Les grandes coopératives, qui ont des intérêts financiers dans les OGM, influencent les institutions de réglementation à tel point qu’une nouvelle réglementation européenne permet d’avoir 0.9% d’OGM dans les produits bio et la possibilité d’utiliser des pesticides quand il n’y a pas d’équivalent, alors que le Parlement européen s’y était opposé ! L’éleveur et militant de Nature et Progrès, Guy Kastler bondit « La bio est totalement incompatible avec les OGM […] nous continuons à exiger 0% d’OGM! La nouvelle réglementation définit des standards et ne se soucie plus des pratiques agricoles. On est passé d’une obligation de moyen à une obligation de résultat. C’est la porte ouverte à la généralisation d’une agriculture bio industrielle ».
Alors qu’en France il fallait que les éleveurs bio produisent 40% de la nourriture pour leurs animaux sur leurs terres, la nouvelle réglementation européenne ne l’exige plus. La nourriture, constituée principalement de soja, est importée car coûte beaucoup moins cher, posant les mêmes problèmes que les fruits et légumes importés vus ci-dessus.
Des producteurs asservis
Daniel Florentin, membre de la Confédération paysanne affirme que « les producteurs sont sous contrats serrés et perdent toute leur autonomie. Ils sont lourdement endettés pour au moins vingt ans et doivent livrer la totalité de leur production à la coopérative qui s’engage à la prendre, sans prix déterminé à l’avance. C’est un pur système d’intégration, courant dans les élevages intensifs conventionnels».
Des petits producteurs de soja bio en Amérique latine dépendent de grosses sociétés d’exportation et « refusent les visites de la presse », c’est dire le manque de transparence des groupes.
Désastre écologique et sociologique
L’exemple des fraises bio
La société Bionest en Espagne, par exemple, cultive sous des centaines d’hectares de serres une seule variété de fraises bio qui est « particulièrement polluante et exploiteuse en main-d’œuvre ». Cette société se situe parmi tant d’autres de manière plus ou moins illégale dans le parc naturel de Doñana (inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco) selon WWF-Espagne. La technique de culture est très semblable à celle des cultures conventionnelles (irrigation goutte-à-goutte, usage d’engrais, monoculture…).
Bionest emploi des femmes, pour la récolte de leurs fruits, qui viennent de Roumanie, Pologne, des Philippines, qui ne connaissent pas leurs droits et qui sont totalement soumises à leurs employeurs (interdiction de visites, passeports confisqués, sorties contrôlées, etc.). Les conditions de travail sont particulièrement difficiles pour elles et ne sont pas différentes de celles des entreprises conventionnelles. Selon Le monde diplomatique « Bionest n’est pas un cas isolé en Andalousie ».
José Bové à la conférence de presse au Parlement Européen de Strasbourg (2010) :
Voici un épisode de Capital diffusé sur M6 pour mieux se rendre compte de ce qu’est l’agriculture des fraises en Espagne :
L’exemple de l’huile de palme bio
L’huile de palme bio fait parti des ingrédients de la plupart des produits bio transformés. En Colombie, le groupe Daabon est une multinationale qui possède des milliers d’hectares de palmiers à huile, bananiers, cacaoyers et caféiers bio. La famille Davila, propriétaire du groupe, est en relation étroite avec l’ancien président Alvaro Uribe qui a, pendant ses deux mandats, commis des milliers d’assassinats avec l’armée et qui avec l’aide des paramilitaires a fait déplacer massivement des paysans de leurs terres pour que des entreprises puissent y planter des palmiers à huile bio.
Nous voyons avec ces deux exemples qu’une monoculture bio à très grande échelle, qui bafoue les droits, les conditions de travail et de vie des hommes et qui détruit l’environnement, constitue une véritable dérive à « l’idéologie bio ».
Vers un contrôle des semences
Un membre de La Verde, une petite coopérative agricole créée dans les années 1980, bien loin des dérives citées ci-dessus, affirme que « Si l’agriculture biologique ne sert pas à rétablir l’équité, la justice, l’autonomie, l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire, elle n’a aucun sens. Et les certificateurs ne nous aident pas. Un agriculteur qui diversifie ses cultures et cultive plusieurs variétés sera plus lourdement taxé que celui qui ne fait que de la monoculture intensive».
Ces petits agriculteurs ne peuvent pas par ailleurs, à cause de certaines lois, certifier leurs graines ancestrales. La règlementation européenne exige que des semences certifiées bio doivent être utilisées et que si elles n’existent pas il est possible d’utiliser les conventionnelles. « Pour le moment, tout se passe à la limite de la légalité, mais si demain la vente de nos produits est interdite, on va nous obliger à cultiver avec des semences bio vendues par Monsanto».
Il existe également le problème du croisement des semences entre les cultures bio et les cultures OGM. C’est par exemple le cas en Espagne en Aragon où 80% du maïs bio est contaminé par les champs d’OGM environnants (par le vent, la pluie, etc.).
Le problème du bio en France
« Les Français adorent le bio-même s’il leur coûte plus cher-, ils en achètent et en redemandent. Paradoxalement, la deuxième puissance agricole de la planète est incapable de fournir du bio. Les distributeurs sont donc contraints d’importer massivement. » affirme l’Express. Et rajoute « Le bio en France, c’est l’histoire du lièvre qui démarre la course en tête, s’essouffle, ralentit, s’arrête et se fait dépasser par tous ses concurrents. »
Vincent Perrot, porte-voix à la Fédération nationale des agriculteurs biologiques explique « La volonté politique de soutenir le bio a jusqu’ici été bien faible, […] La France agricole est marquée par l’agriculture intensive, dominée par le lobby des grandes exploitations. Notre culture fut trop longtemps celle du produire plus pour exporter plus ». Dans le pays qui est le 1er consommateur de pesticides en Europe, le bio n’est pas vu d’un très bon œil des industries chimiques.
Les grands céréaliers « qui ne jurent que par les grands rendements » sont les plus résistants à se convertir au bio pénalisant ainsi toute la chaine de production alimentaire car il faut, comme nous l’avons vu, des céréales bio pour alimenter le bétail bio.
Mouvements contre l’industrie intensive du bio
Il y a dans beaucoup de pays de plus en plus de paysans et de petites coopératives qui résistent face à cette industrialisation du bio et qui prônent pour une gestion responsable des produits bio.
« Des réseaux de défense des semences paysannes se développent pour imposer le droit des paysans à produire et à commercialiser leurs propres semences » remarque Le Monde Diplomatique.
Bio Cohérence est une nouvelle marque, un nouveau label privé, créée par la FNAB (Fédération nationale d’agriculture biologique) qui va compléter la règlementation actuelle mais qui sera beaucoup plus stricte (0% d’OGM, une ferme devra être à 100% bio, alimentation animale 100% produite majoritairement par la ferme elle-même, 100% des ingrédients bio dans les produits transformés, etc.).
Les AMAP (Associations pour le maintient de l’agriculture paysanne) qui mettent en relation directe les consommateurs et les producteurs connaissent un tel succès qu’elles n’arrivent pas à satisfaire la demande.
Nous sommes, bien évidemment, pour une consommation de produits bio mais à condition qu’elle soit réfléchie et responsable. On ne le répètera pas assez, il faut manger le plus possible de produits de saison et locaux ! Nous conseillons également d’éviter les plats préparés bio, contenant généralement divers additifs, de l’huile de palme, trop de sel, voire des OGM, etc. Privilégiez les produits bruts, non transformés, prenez le temps de cuisiner et découvrez les saveurs de variétés authentiques originales cultivées près de chez vous !
Voici un petit tableau de la Fondation Nicolas Hulot pour consommer des fruits et légumes de saison : Fruits et légumes de saison
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Source principale :
[1] Le Monde Diplomatique – Février 2011 – Florissante industrie de l’agriculture biologique – Rédigé par Philippe Baqué.Philippe Baqué, journaliste et réalisateur de films documentaires, est coordinateur du projet d’ouvrage collectif « De la bio alternative aux dérives du « bio »-business, quel sens donner à la bio ? » mené par l’association Alterravia (voir ici pour plus de détails).
Sources secondaires :
Agence Bio (www.agencebio.org)
Bio Marché.info (www.bio-marche.info)
L’express : L’incroyable faillite du bio français